Narcisse parle
- Ô frères ! tristes lys, je languis de beauté
- Pour m’être désiré dans votre nudité,
- Et vers vous, Nymphe, nymphe, ô nymphe des fontaines,
- Je viens au pur silence offrir mes larmes vaines.
- Un grand calme m’écoute, où j’écoute l’espoir.
- La voix des sources change et me parle du soir ;
- J’entends l’herbe d’argent grandir dans l’ombre sainte,
- Et la lune perfide élève son miroir
- Jusque dans les secrets de la fontaine éteinte.
- Et moi ! De tout mon cœur dans ces roseaux jeté,
- Je languis, ô saphir, par ma triste beauté !
- Je ne sais plus aimer que l’eau magicienne
- Où j’oubliai le rire et la rose ancienne.
- Que je déplore ton éclat fatal et pur,
- Si mollement de moi fontaine environnée,
- Où puisèrent mes yeux dans un mortel azur
- Mon image de fleurs humides couronnée !
- Hélas ! L’image est vaine et les pleurs éternels !
- À travers les bois bleus et les bras fraternels,
- Une tendre lueur d’heure ambiguë existe,
- Et d’un reste du jour me forme un fiancé
- Nu, sur la place pâle où m’attire l’eau triste…
- Délicieux démon, désirable et glacé !
- Voici dans l’eau ma chair de lune et de rosée,
- Ô forme obéissante à mes yeux opposée !
- Voici mes bras d’argent dont les gestes sont purs !...
- Mes lentes mains dans l’or adorable se lassent
- D’appeler ce captif que les feuilles enlacent,
- Et je crie aux échos les noms des dieux obscurs !...
- Adieu, reflet perdu sur l’onde calme et close,
- Narcisse... ce nom même est un tendre parfum
- Au cœur suave. Effeuille aux mânes du défunt
- Sur ce vide tombeau la funérale rose.
- Sois, ma lèvre, la rose effeuillant le baiser
- Qui fasse un spectre cher lentement s’apaiser,
- Car la nuit parle à demi-voix, proche et lointaine,
- Aux calices pleins d’ombre et de sommeils légers.
- Mais la lune s’amuse aux myrtes allongés.
- Je t’adore, sous ces myrtes, ô l’incertaine
- Chair pour la solitude éclose tristement
- Qui se mire dans le miroir au bois dormant.
- Je me délie en vain de ta présence douce,
- L’heure menteuse est molle aux membres sur la mousse
- Et d’un sombre délice enfle le vent profond.
- Adieu, Narcisse... meurs ! Voici le crépuscule.
- Au soupir de mon cœur mon apparence ondule,
- La flûte, par l’azur enseveli module
- Des regrets de troupeaux sonores qui s’en vont.
- Mais sur le froid mortel où l’étoile s’allume,
- Avant qu’un lent tombeau ne se forme de brume,
- Tiens ce baiser qui brise un calme d’eau fatal !
- L’espoir seul peut suffire à rompre ce cristal.
- La ride me ravisse au souffle qui m’exile
- Et que mon souffle anime une flûte gracile
- Dont le joueur léger me serait indulgent !...
- Évanouissez-vous, divinité troublée !
- Et, toi, verse à la lune, humble flûte isolée,
- Une diversité de nos larmes d’argent.