Été
À Francis Vielé-Griffin
- Été, roche d’air pur, et toi, ardente ruche,
- Ô mer ! Éparpillée en mille mouches sur
- Les touffes d’une chair fraîche comme une cruche,
- Et jusque dans la bouche où bourdonne l’azur,
- Et toi, maison brûlante, Espace, cher Espace
- Tranquille, où l’arbre fume et perd quelques oiseaux,
- Où crève infiniment la rumeur de la masse
- De la mer, de la marche et des troupes des eaux,
- Tonnes d’odeurs, grands ronds par les races heureuses
- Sur le golfe qui mange et qui monte au soleil,
- Nids purs, écluses d’herbe, ombres des vagues creuses,
- Bercez l’enfant ravie en un poreux sommeil.
- Aux cieux vainement tonne un éclat de matière,
- Embrase-t-il les mers, consume-t-il les monts,
- Verse-t-il à la vie un torrent de lumière
- Et fait-il dans les cœurs hennir tous les démons,
- Toi, sur le sable tendre où s’abandonne l’onde,
- Où sa puissance en pleurs perd tous ses diamants,
- Toi qu’assoupit l’ennui des merveilles du monde,
- Vierge sourde aux clameurs d’éternels éléments,
- Tu te fermes sur toi, serrant ta jeune gorge,
- Âme toute à l’amour de sa petite nuit,
- Car ces tumultes purs, cet astre fou qui forge
- L’or brut d’événements bêtes comme le bruit,
- Te font baiser les seins de ton être éphémère,
- Chérir ce peu de chair comme un jeune animal
- Et victime et dédain de la splendeur amère
- Choyer le doux orgueil de s’aimer comme un mal.
- Fille exposée aux dieux que l’Océan constelle
- D’écume qu’il arrache aux miroirs du soleil,
- Aux jeux universels tu préfères mortelle,
- Toute d’ombre et d’amour, ton île de sommeil.
- Cependant du haut ciel foudroyant l’heure humaine,
- Monstre altéré du temps, immolant le futur,
- Le Sacrificateur Soleil roule et ramène
- Le jour après le jour sur les autels d’azur...
- Mais les jambes, (dont l’une est fraîche et se dénoue
- De la plus rose), les épaules, le sein dur,
- Le bras qui se mélange à l’écumeuse joue
- Brillent abandonnés autour du vase obscur
- Où filtrent les grands bruits pleins de bêtes puisées
- Dans les cages de feuille et les mailles de mer
- Par les moulins marins et les huttes rosées
- Du jour... Toute la peau dore les treilles d’air.