Été

À Francis Vielé-Griffin

  1. Été, roche d’air pur, et toi, ardente ruche,
  2. Ô mer ! Éparpillée en mille mouches sur
  3. Les touffes d’une chair fraîche comme une cruche,
  4. Et jusque dans la bouche où bourdonne l’azur,
  5. Et toi, maison brûlante, Espace, cher Espace
  6. Tranquille, où l’arbre fume et perd quelques oiseaux,
  7. Où crève infiniment la rumeur de la masse
  8. De la mer, de la marche et des troupes des eaux,
  9. Tonnes d’odeurs, grands ronds par les races heureuses
  10. Sur le golfe qui mange et qui monte au soleil,
  11. Nids purs, écluses d’herbe, ombres des vagues creuses,
  12. Bercez l’enfant ravie en un poreux sommeil.
  13. Aux cieux vainement tonne un éclat de matière,
  14. Embrase-t-il les mers, consume-t-il les monts,
  15. Verse-t-il à la vie un torrent de lumière
  16. Et fait-il dans les cœurs hennir tous les démons,
  17. Toi, sur le sable tendre où s’abandonne l’onde,
  18. Où sa puissance en pleurs perd tous ses diamants,
  19. Toi qu’assoupit l’ennui des merveilles du monde,
  20. Vierge sourde aux clameurs d’éternels éléments,
  21. Tu te fermes sur toi, serrant ta jeune gorge,
  22. Âme toute à l’amour de sa petite nuit,
  23. Car ces tumultes purs, cet astre fou qui forge
  24. L’or brut d’événements bêtes comme le bruit,
  25. Te font baiser les seins de ton être éphémère,
  26. Chérir ce peu de chair comme un jeune animal
  27. Et victime et dédain de la splendeur amère
  28. Choyer le doux orgueil de s’aimer comme un mal.
  29. Fille exposée aux dieux que l’Océan constelle
  30. D’écume qu’il arrache aux miroirs du soleil,
  31. Aux jeux universels tu préfères mortelle,
  32. Toute d’ombre et d’amour, ton île de sommeil.
  33. Cependant du haut ciel foudroyant l’heure humaine,
  34. Monstre altéré du temps, immolant le futur,
  35. Le Sacrificateur Soleil roule et ramène
  36. Le jour après le jour sur les autels d’azur...
  37. Mais les jambes, (dont l’une est fraîche et se dénoue
  38. De la plus rose), les épaules, le sein dur,
  39. Le bras qui se mélange à l’écumeuse joue
  40. Brillent abandonnés autour du vase obscur
  41. Où filtrent les grands bruits pleins de bêtes puisées
  42. Dans les cages de feuille et les mailles de mer
  43. Par les moulins marins et les huttes rosées
  44. Du jour... Toute la peau dore les treilles d’air.