Anne
À André Lebey
- Anne qui se mélange au drap pâle et délaisse
- Des cheveux endormis sur ses yeux mal ouverts
- Mire ses bras lointains tournés avec mollesse
- Sur la peau sans couleur du ventre découvert.
- Elle vide, elle enfle d’ombre sa gorge lente,
- Et comme un souvenir pressant ses propres chairs,
- Une bouche brisée et pleine d’eau brûlante
- Roule le goût immense et le reflet des mers.
- Enfin désemparée et libre d’être fraîche,
- La dormeuse déserte aux touffes de couleur
- Flotte sur son lit blême, et d’une lèvre sèche,
- Tette dans la ténèbre un souffle amer de fleur.
- Et sur le linge où l’aube insensible se plisse,
- Tombe, d’un bras de glace effleuré de carmin,
- Toute une main défaite et perdant le délice
- À travers ses doigts nus dénoués de l’humain.
- Au hasard ! À jamais, dans le sommeil sans hommes,
- Pur des tristes éclairs de leurs embrassements,
- Elle laisse rouler les grappes et les pommes
- Puissantes, qui pendaient aux treilles d’ossements,
- Qui riaient, dans leur ambre appelant les vendanges,
- Et dont le nombre d’or de riches mouvements
- Invoquait la vigueur et les gestes étranges
- Que pour tuer l’amour inventent les amants…
- Sur toi, quand le regard de leurs âmes s’égare,
- Leur cœur bouleversé change comme leurs voix,
- Car les tendres apprêts de leur festin barbare
- Hâtent les chiens ardents qui tremblent dans ces rois...
- À peine effleurent-ils de doigts errants ta vie,
- Tout leur sang les accable aussi lourd que la mer
- Et quelque violence aux abîmes ravie
- Jette ces blancs nageurs sur tes roches de chair…
- Récifs délicieux, Île toute prochaine,
- Terre tendre, promise aux démons apaisés,
- L’amour t’aborde, armé des regards de la haine,
- Pour combattre dans l’ombre une hydre de baisers !
- Ah, plus nue et qu’imprègne une prochaine aurore,
- Si l’or triste interroge un tiède contour,
- Rentre au plus pur de l’ombre où le Même s’ignore,
- Et te fais un vain marbre ébauché par le jour !
- Laisse au pâle rayon ta lèvre violée
- Mordre dans un sourire un long germe de pleur,
- Masque d’âme au sommeil à jamais immolée
- Sur qui la paix soudaine a surpris la douleur !
- Plus jamais redorant tes ombres satinées,
- La vieille aux doigts de feu qui fendent les volets
- Ne viendra t’arracher aux grasses matinées
- Et rendre au doux soleil tes joyeux bracelets...
- Mais suave, de l’arbre extérieur, la palme
- Vaporeuse remue au delà du remords,
- Et dans le feu, parmi trois feuilles, l’oiseau calme
- Commence le chant seul qui réprime les morts.